LETTRE D'INFORMATION - Août 2022

Service d’aide aux collectivités proposé par l'OiEau sur les questions liées à l’eau potable,
l’assainissement collectif et non collectif.
 

DOSSIER

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Les villes et les îlots de chaleur :

le rôle important de la gestion de l’eau dans la nécessaire adaptation aux épisodes de canicules

 

DES EPISODES CANICULAIRES DE PLUS EN PLUS FREQUENTS

L’évolution du climat entraîne l’apparition plus fréquente de chaleurs caniculaires. L’épisode de juin 2022 comme celui de juillet 2022 ont été intenses mais ils ne peuvent plus être considérés comme exceptionnels. En effet, Météo France a recensé 23 épisodes de canicule sur les 21 dernières années (entre 2000 et 2021) contre seulement 17 en 53 ans (sur la période 1947-1999).

Vagues de chaleur observées en France avant 2022

Lors des épisodes caniculaires de cet été 2022, le seuil des 40 degrés a été franchi dans plusieurs régions, constituant de nouveaux records de chaleur absolus dans certaines villes de la France métropolitaine.

LE BATI URBAIN DENSE ET LES ILOTS DE CHALEUR

Le bâti urbain dense induit nécessairement dles îlots de chaleur.

Le phénomène « d’îlot de chaleur urbain » est causé, avant tout, par l’accumulation de matériaux artificiels (béton, bitume…), en particulier ceux de couleur sombre. Ces matériaux absorbent fortement l’éclairement solaire en s’échauffant et restituent cette chaleur la nuit. Ce qui limite le refroidissement nocturne.

Le bâti urbain dense accentue cet effet car la chaleur est piégée entre les murs.

La géographie de l’îlot de chaleur urbain - Source

La géographie de ce phénomène est relativement simple : son intensité progresse en général des faubourgs au centre de la ville. Il présente des microclimats où des parcs et autres espaces verts constituent des « zones de fraîcheur ».

À l’échelle d’une métropole, l’effet d’îlot de chaleur se traduit par un « dôme » de température entre le centre et la périphérie. (source)

 

Vers une renaturation des milieux urbains denses.

Le 14 juin 2022, le gouvernement a annoncé qu’une enveloppe de 500 millions d’euros allait être consacrée à la « renaturation » des villes. Le but est de favoriser « le développement d’îlots de fraîcheur en ville en s’engageant très fortement à accompagner les collectivités locales dans l’adaptation aux conséquences du dérèglement climatique ».

Ce fonds servira à « cofinancer, aux côtés des collectivités locales qui en expriment le besoin, ces opérations de renaturation. » (source)

LES ENJEUX

Les vagues de chaleur, nous l’avons vu, sont de plus en plus fréquentes, intenses, et longues. Les experts prévoient une multiplication par trois de la climatisation en Europe d’ici à 2050, il est essentiel d’explorer d’autres solutions pour apporter de la fraîcheur en ville (source)

Il s’agit d’assurer le confort mais aussi, et surtout, la santé des citadins.

Nous l’avons vu, en ville, les espaces extérieurs manquent d’ombre, sont peu ventilés et constitués de surfaces minérales qui stockent la chaleur en journée et la restituent pendant la nuit. La température nocturne baisse donc moins en ville qu'à la campagne, ce qui ne permet pas de rafraîchir suffisamment les logements.

Les conséquences ne se limitent pas un simple inconfort. Des coups de chaleur et des déshydratations occasionnent parfois la mort des personnes les plus fragiles.

Selon un communiqué du 22 mars 2007 de l'Inserm, le nombre de décès du fait de la canicule 2003 s'élève à 19 490 en France et à 20 089 en Italie ; pour l'ensemble de l'Europe, il est de l'ordre de 70 000 (voir le communiqué). Le chiffre de 25 000 morts comme conséquence de la canicule est avancé par les syndicats des urgentistes de France.

 

Nota : Les habitants de logements sous les toits insuffisamment isolés ou sans protection solaire peuvent être exposés à des températures très élevées et possiblement dangereuses pour la santé.

LES SOLUTIONS POUR APPORTER DE LA FRAICHEUR EN VILLE

Les solutions pour réduire les ilots de chaleur sont, pour beaucoup, fondées sur la nature. Nous verrons aussi qu’elles supposent un certain changement de paradigme en ce qui concerne la gestion urbaine de l’eau.

Des solutions palliatives existent donc mais il est important de choisir celles qui sont le mieux adaptées au contexte local et de bien réfléchir à leur mise en œuvre.

Aménagement urbain pour lutter contre les ilots de chaleur - source
Des solutions vertes fondées sur la nature (végétal, eau)

Les parcs

Les parcs, petits concentrés de végétation créent des oasis de fraîcheur.

Ils sont d’autant plus efficaces lorsqu’il existe un système d’arrosage pendant les vagues de chaleur (sinon l’effet est 4 fois moins important). Plus les parcs sont arborés et matures, plus le rafraîchissement est important.

> À Göteborg (Suède), la différence de température maximale entre un parc et son environnement construit a été mesurée à 5,9 °C.

 

Les arbres isolés ou en bordure de route

les services rendus par les arbres

Les arbres isolés ou en bordure de route peuvent diminuer la température de 2 à 3 °C grâce à l’évapotranspiration et à l’ombrage. Pour avoir une efficacité réelle, il faut un nombre d’arbres important, avec un feuillage dense, un apport d’eau et un pied en pleine terre (source).

 

Nota : la nuit, une couverture arborée importante peut réduire le rafraîchissement des surfaces minérales car cela crée un obstacle à la vue du ciel et au vent.

 

Pelouses et prairies : un apport seulement en cas de bonnes pratiques

Les pelouses et prairies peuvent être plus chaudes que les zones minérales alentour quand elles ne bénéficient pas de l’ombre des bâtiments.

À ensoleillement égal, l’effet sur la température de l’air est alors à peine perceptible.

Mais, même si le sol reste à une température proche de l’air, il émet moins de rayonnement infrarouge (qui renvoie de la chaleur dans l’air).

Le rafraîchissement peut être plus important si les pelouses sont arrosées la nuit (source).

Multiplier les petites pelouses non arrosées dans des quartiers denses n’aura quasiment aucun effet.

De même les ronds-points simplement enherbés et non arrosés, même s’ils sont classés en espace vert, ne sont d’aucun secours pour lutter efficacement contre les ilots de chaleur. Des arbres doivent y être plantés, entretenus et arrosés / irrigués.

 

Les toitures végétales

Les toitures végétales améliorent le confort dans les logements et réduisent la consommation de climatisation et, par conséquent, ses rejets de chaleur dans les rues.

L’efficacité dépend cependant fortement du type de plantes, de l’épaisseur du substrat et de l’irrigation. Il faut que la végétation soit intense et que le toit soit bien humide pour que cela soit réellement efficace.

> À Hong Kong, la végétalisation a permis d’abaisser de 1 °C la température de l’air à 1,50 m des toitures.

L’autre condition sine qua non pour que le recours aux toitures végétales arrosées se généralise est l’extrême attention qui doit être apportée à l’étanchéité des bâtiments lors de leur construction comme lors de leur entretien. Si cette condition n’est pas remplie, bailleurs, locataires et propriétaires tendront à supprimer les toitures végétales arrosées / irriguées.

 

Les murs végétalisés

Les murs végétalisés protègent le bâtiment du rayonnement solaire et réduisent la température de surface des murs.

La température de l’air à proximité de la façade est fortement réduite mais devient insignifiante à
1 m.

La température d’air est cependant augmentée la nuit car un mur vivant se refroidit plus lentement qu’un mur sans plantes.

A noter qu’à l’exception des grimpantes, les végétaux ont besoin d’un système d’arrosage performant (source).

La problématique de la lutte contre les ilots de chaleur
et la gestion de l’eau urbaine en période de forte chaleur

 

Dans chacun des cas évoqués ci-dessus le recours à l’arrosage ou l’irrigation est absolument nécessaire si l’on veut que les effets soient significatifs. Il faudrait donc se tourner autant que faire se peut vers la solution qui consiste à réutiliser l’eau de pluie et les eaux usées traitées pour que la solution soit réellement soutenable.

Arroser des plantes avec de l’eau de pluie ne pose pas de souci en terme agronomique. C’est même conseillé. Cependant, en France métropolitaine, les épisodes de très fortes chaleurs sont aussi des périodes de sécheresse.

En revanche si l’utilisation de l’eau usée traitée est possible en terme quantitatif, elle peut poser problème en termes de sécurité sanitaire. Il est donc nécessaire de « pousser le traitement » jusqu’à obtenir une eau saine sans micro-organismes pathogène ni élément toxique.

L'irrigation des cultures et l'arrosage des espaces verts, régie par les dispositions de l'article R. 211-23 du code de l'environnement qui précise les points suivants :

« Les eaux usées peuvent, après épuration, être utilisées notamment à des fins agronomiques ou agricoles, par arrosage ou par irrigation, sous réserve que leurs caractéristiques et leurs modalités d'emploi soient compatibles avec les exigences de protection de la santé publique et de l'environnement.

Pour l'utilisation des eaux usées traitées à des fins agronomiques ou agricoles, les conditions d'épuration et les modalités d'irrigation ou d'arrosage requises, ainsi que les programmes de surveillance à mettre en œuvre, sont définis, après avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail et de la mission interministérielle de l'eau, par un arrêté du ministre chargé de la santé, du ministre chargé de l'environnement et du ministre chargé de l'agriculture. »

Dans la pratique, il est très difficile de recourir aux eaux usées traitées pour l’irrigation d’espaces verts urbains.

Le recours à l’eau brute issue du milieu naturel sera donc le plus souvent nécessaire.

Il faudra donc se tourner vers les techniques d’irrigation / arrosage les plus économes.

Il faut bien reconnaitre qu’en absence de possibilité de réutilisation des eaux usées traitées, la baisse des quantités de prélèvement d’eau et la lutte contre les ilots de chaleur risque, à l’avenir, d’être parfois en tension.

 

Les réservoirs, étangs, lacs, rivières, ruisseaux, etc.

Les réservoirs, étangs, lacs, rivières, ruisseaux, etc. sont en général déjà présents dans les villes et peuvent influer fortement car l’eau joue le rôle de « refroidisseur climatique ».

> À Lisbonne, le refroidissement mesuré au-dessus du Tage est de -6 à -7 °C aux moments les plus chauds et l’effet est ressenti jusqu’à plusieurs centaines de mètres de la rive.

 

Pour conclure ce chapitre, nous soulignerons que les aménagements pour gérer les eaux de pluies (noues) n’ont qu’un faible impact car les pluies sont, en France métropolitaines, très rares en périodes de forte chaleur. Par ailleurs, ces zones finissent par ressembler à une prairie. Si elles sont encore remplies d’eau, une humidité ambiante trop importante en période de forte chaleur peut même être inconfortable pour les habitants.

Des solutions grises concernant les infrastructures urbaines
(revêtements, mobilier urbain, bâtiments)

Repenser la forme urbaine

Repenser la forme urbaine (rues, constructions, espaces libres…) est une solution possible pour favoriser la circulation des vents, limiter le piégeage de la chaleur la nuit et créer de l’ombrage le jour.

Les rues étroites des villes traditionnelles méditerranéennes, reçoivent moins de rayonnement solaire et, de ce fait, offrent un meilleur confort. Les cours et alignements Nord-Sud ne reçoivent le rayonnement solaire que lorsque le soleil est à son zénith alors que les orientations Est-Ouest reçoivent les rayons du soleil presque toute la journée en été.

> Dans les passages couverts de Sanliurfa (Turquie), il fait 3 à 4 °C plus frais que dans les rues environnantes notamment grâce à la circulation du vent plus importante.

 

Fontaines, brumisations, piscines

La présence de fontaines permet d’abaisser localement la température de 1 °C, les piscines et bassins de 0,1 à 1,9 °C et les brumisations de 4 °C en moyenne. Plus les gouttelettes d’eau sont fines, plus les systèmes sont efficaces d’autant plus s’ils bénéficient d’une brise légère et constante (source).

 

 

 L’arrosage des rues

L’arrosage des rues doit être fréquent pour apporter du confort. Par exemple à Paris, la fréquence optimale en après-midi est de 30 minutes pour la chaussée et de 10-20 minutes pour les trottoirs plus lisses en surface, avec une capacité d’absorption de l’eau moindre. En matinée, la fréquence d’arrosage optimale est de 1 à 2,5 heures. L’efficacité de l’arrosage par camions apporte le plus de fraîcheur vers 18h00 car l’évaporation est importante. Mais seule 20 % de l’eau utilisée pour l’arrosage s’évapore réellement ; le reste ruisselle ou s’infiltre.

> Sur les chaussées arrosées par camions rue du Louvre à Paris, la température diminue de 4 °C le matin et de 13 °C l’après-midi par rapport à l’environnement urbain.

Pour cette technique comme pour les techniques évoquées dans le chapitre précédent, la nécessaire baisse des quantités d’eau prélevées et la lutte contre les ilots de chaleur sont clairement en tension / opposition.

 

L’installation de structures

L’installation de structures pour créer de l’ombre comme des pergolas ouvertes sur les côtés et végétalisées est bien moins efficace que des arbres mais peut être une solution très localisée (à l’échelle d’une maison ou d’une terrasse d’immeuble) (source).

Les Matériaux à Changement de Phase (MCP) fondent et absorbent la chaleur lorsque la température extérieure dépasse leur température de fusion. Ils se solidifient en restituant l’énergie accumulée lorsque la température redescend. Ils peuvent être incorporés dans les chaussées en asphalte et en béton, les trottoirs, les tuiles et les murs. Les bâtiments se réchauffent moins vite et limitent leurs besoins de climatisation (de 10 à 87 %).

On peut ainsi diminuer de 12,5 °C à 19,7 °C la température d’une chaussée en asphalte par rapport à une rue similaire sans MCP et de 2,5 °C à 9,7 °C la température de surface des tuiles.

L’isolation des bâtiments est essentielle pour laisser entrer moins vite la chaleur et mieux conserver la fraîcheur de la climatisation. Les murs isolés par l’extérieur présentent des températures de surface en journée inférieures à celles de murs non isolés et permettent donc de réduire la surchauffe urbaine.

> À Delhi, un mur en béton de bambou composite de 15 cm permet de réduire de 7,5 % les besoins énergétiques pour climatiser par rapport à un mur en brique de 12.7 cm d’épaisseur.

 

Les revêtements à albedo élevé

Les revêtements à albedo élevé (peintures, bétons désactivés, gravillons blancs…) ayant un fort pouvoir réfléchissant, le plus souvent de couleur claire, sont très efficaces sur le confort du bâtiment en été. Ce sont des solutions ancestrales dans de nombreux pays chauds.

> À Athènes, en passant d’un revêtement foncé asphalté (albedo 0,04) à un revêtement blanc (albedo 0,55) pour les sols, la température a été abaissée de 4°C.

Des « solutions douces » basées sur les comportements et la gestion
de la ville

Les modes de transport doux sont en pleine expansion. Cela permet notamment de limiter les émissions de chaleur des moteurs en zone urbaine. Les autres solutions sont l’abaissement de la limite de la vitesse, la sensibilisation à la conduite économe et l’utilisation raisonnée de la climatisation, encourager l’utilisation des transports en commun, la marche et le vélo…

Au niveau des bâtiments, pour éviter des rejets de chaleur supplémentaire à l’extérieur, il est essentiel de limiter les besoins de climatisation en construisant des bâtiments bioclimatiques ou en protégeant mieux les bâtiments existants (protections solaires, isolation, ventilation),

Lors de périodes de fortes chaleurs, il est essentiel de rappeler aux citadins les mesures sanitaires préventives et les bons gestes à mettre en place comme ouvrir les fenêtres la nuit ou réduire les activités en extérieur. Quand cela est possible, on peut aussi décaler les horaires de sommeil, changer les horaires de travail…

 

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